ACTUALITES — 09 décembre 2012

Le palmarès du 3ème Festival International du Film de Pau vient d’être délivré. Le Jury était présidé par le réalisateur Pavel Lounguine (en bonus, retrouvez ma critique de son dernier film, « Le chef d’orchestre », en bas de cet article.) A ses côtés: la comédienne Lubna Azabal, le comédien Aurélien Recoing, la directrice de casting Françoise Ménidrey et l’acteur chanteur compositeur Murray Head. Je me réjouis du prix du meilleur film reçu par « Himizu » de Sono sion dont vous pouvez également retrouver ma critique, ci-dessous.

Pyrénée du meilleur acteur :

Bogdan Dumitrache dans Best intentions d’Adrian Sitaru (Roumanie, 2011)

Pyrénée de la meilleure actrice ex aequo :

Eugene Domingo dans La Femme dans la fosse septique de Marlon Rivera (Philippines, 2011) et Vera Strokova dans Chapiteau-show de Sergey Loban (Russie, 2011)
Pyrénée du meilleur film :

Himizu de  Sono Sion (Japon, 2011)

Prix du Public

Chapiteau-show de Sergei Loban (Russie, 2011)

Pyrénée d’Honneur

Un Pyrénée d’honneur a été remis par Jérôme Enrico à Bernadette Lafont, invitée d’honneur du Festival, pour l’ensemble de son oeuvre.

CRITIQUE DE « HIMIZU » DE SONO SION

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Un an, jour pour jour, après le tsunami et la tragédie de Fukushima, comment le cinéma allait-il s’emparer de ce drame ?

Un an après, jour pour jour, par une tragique ironie, était ainsi aussi projeté au Festival du Film Asiatique de Deauville « Himizu » du japonais Sono Sion, adaptation du manga éponyme. Coup de cœur (et de poing) de ce festival, d’une rageuse, fascinante, exaspérante et terrifiante beauté.

Sumida est un lycéen dont l’unique ambition est de devenir un homme ordinaire. Son père, qui a quitté le foyer depuis longtemps, réapparaît de temps à autre lorsqu’il a besoin d’argent. Sa mère s’est enfuie avec son amant, laissant le jeune homme sans rien ni personne sur qui pouvoir compter. Réalisant que son rêve ne pourra jamais être exaucé, Sumida devient obsédé par les sanctions qu’il pourrait prendre contre les personnes malfaisantes qui l’entourent.

Ce film possède une beauté réfractaire et non moins fascinante. Les premiers plans, effroyables, nous plongent dans le décor apocalyptique de l’après tsunami exploré par de longs travellings, mais le chaos n’est pas seulement visuel, c’est surtout celui qui ronge, détruit, étouffe les êtres qui ont perdu leur identité et tout espoir. Les parents ne souhaitent qu’une chose à leurs enfants synonymes d’avenir sombre et impossible : la mort. Les enfants eux ne souhaitent qu’une chose : une vie ordinaire au milieu de cette violence extraordinaire. De cette violente confrontation, de cette quête désespérée nait la beauté rageuse du film, d’abord agaçant par sa noirceur exacerbée soulignée par une musique grandiloquente puis fascinant. Ce chaos traduit la douleur indicible d’un Japon désorienté, désespéré, sans avenir, sans espoir. La jeune fille qui suit inlassablement Sumida dont la situation n’est guère plus enviable incarne le rêve possible qui s’accroche malgré tout, un désir d’avenir (n’y voir là aucune référence politique), un avenir qui semble condamné d’avance. Ajoutez à cela un impressionnant travail sur le son (la tempête qui résonne fréquemment comme une réminiscence insidieuse du drame), une écriture répétitive, brillante et lancinante, des scènes fortes et vous obtiendrez un film qui, en tout cas, comme tout grand film, suscitera votre admiration ou votre rejet et ne vous laissera pas indifférent.

Ce film, d’une folie inventive et désenchantée, d’un romantisme désespéré, d’un lyrisme tragique et parfois grandiloquent, est porté par l’énergie du désespoir. Il s’achève sur un cri d’espoir vibrant et déchirant. Sublime. Ravageur. La possibilité d’un rêve. Ce film a également remporté le prix de la critique internationale du Festival du Film Asiatique de Deauville 2012, un prix auquel je me réjouis de n’être pas tout à fait étrangère…

CRITIQUE – « Le chef d’orchestre » de Pavel Lounguine

C’est avec ce film que le cinéaste russe Pavel Lounguine  a ouvert le dernier festival « Regards de Russie » , un film qui, selon ce dernier, est le dernier film et le dénouement de sa trilogie « L’île » et « Tsar », un film avec lequel il dit avoir « voulu unir cette musique religieuse à une histoire beaucoup plus quotidienne ».

Un chef d’orchestre (interprété par l’acteur lettonien Vladas Bagdonas ) se rend avec ses musiciens à Jérusalem pour y jouer l’Oratorio  » La Passion selon St Matthieu « . La tournée se transforme rapidement en une tragédie. Sous le soleil noir de Jérusalem, le masque de l’heureux artiste tombe et le personnage principal se voit confronté, dans un dépouillement impitoyable, à lui-même, à son égoïsme et sa dureté. Trois des interprètes de l’orchestre vont aussi connaître des drames et par la tragique ironie du destin vont influer sur le destin d’une femme russe en pèlerinage à Jérusalem.

L’intrigue se déroule sur 3 jours et le film est très court (1H26), ce qui ne le rend que plus intense grâce à un montage brillant qui nous permet de suivre le parcours mystique, initiatique, de ce chef d’orchestre a priori particulièrement antipathique, rigide, qui va peu à peu laisser tomber son marque d’orgueil et de dureté et même apprendre, enfin, à esquisser un sourire, progressivement rongé par le remord, celui de n’avoir pas su comprendre et aimer son fils mort à Jérusalem. Mais dire cela c’est déjà en dire trop car le film recourt à une judicieuse économie de dialogues et d’explications et, à l’image d’une musique sublime, âpre et envoûtante comme celle qui porte ce film, ce dernier se ressent plus qu’il ne se raconte.

Sur ces drames contemporains, la musique lyrique, mystique, dramatique de « La Passion selon Saint Mathieu », à la fois exacerbe la cruauté de ces drames et les embellit, leur apporte une aura, mêle drame intime et musique intemporelle avec une cruelle flamboyance.

Le grand intérêt du film est le personnage de Vladas Bagdonas qui interprète cet homme redouté, opaque, mystérieux, ombrageux dont la carapace va peu à peu se craqueler, même si les personnages secondaires ne sont pas pour autant oubliés et permettent parfois d’apporter une petite pincée d’humour, notamment avec ce personnage qui tente par tous les moyens d’échapper à sa femme.

Le film est riche en symboles qui n’alourdissent pas le récit mais au contraire se justifient par la musique et le lieu choisis (Jérusalem n’est évidemment pas un hasard) : parallèle entre le corps sans vie du fils et le corps allongé du père presque désincarné, chemin de croix signifié par l’ascension à Jérusalem, visage du père à demi dans la pénombre pour signifier sa part d’ombre.

Pavel Lounguine brasse les sujets : le deuil, le pardon (surtout à soi-même), l’incommunicabilité entre les générations, entre les hommes et les femmes, mais aussi le caractère irréparable de certains actes (la scène du drame à Jérusalem est certes une facilité scénaristique). La beauté, la force, le tragique de la musique atteignent leur paroxysme lors du concert pendant lequel se joue un autre drame. S’entremêlent alors les histoires et se révèlent les conséquences tragiques des actes de chacun.

Il semble incroyable que ce film n’ait pas encore de distributeur en France. Il le mérite à plus d’un titre : d’abord pour l’interprétation incroyable de Vladas Bagdonas, terriblement crédible dans ce rôle de chef d’orchestre face à lui-même et aux conséquences de sa dureté, et réjouissamment complexe, ensuite pour la mise en scène tout en parallèles, jeux de lumières (entre lumière blafarde des intérieures tet lumière chaleureuse de la ville) et de musique qui est à la fois paradoxalement riche de symboles et d’implicite (les premières scènes prennent une couleur toute différente quand nous savons ce qu’a reçu par fax le chef d’orchestre, sublime scène aussi lorsqu’il se confie à une jeune femme dans une langue qu’elle ne comprend pas mais dont la « musique » lui permet de comprendre le sens ), également pour la musique qui anoblit et transcende le film, enfin pour le scénario judicieusement écrit qui entrelace ces destins, et qui fait appel à l’intelligence du spectateur pour scénariser le passé et le devenir des personnages. Un chef d’orchestre agréablement rude et opaque dans un cinéma où les histoires et les personnages sont de plus en plus aseptisés, un film porté par la force rageuse, féroce, lyrique, de la musique, par un montage malin et par la caméra pudique et lyrique de Pavel Lounguine. Un film à voir et ressentir, vraiment !

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Sandra Mézière

Blogueuse et romancière. Diplômée en droit, sciences politiques, médiation culturelle (mémoire sur le cinéma avec mention TB) et d'un Master 2 professionnel de cinéma. 15 fois membre de jurys de festivals de cinéma (dont 10 sur concours d'écriture). 22 ans de pérégrinations festivalières. Blogueuse depuis 14 ans. Je me consacre aujourd'hui à ma passion, viscérale, pour le cinéma et l'écriture par l'écriture de 7 blogs/sites que j'ai créés ( Inthemoodforfilmfestivals.com, Inthemoodforcinema.com, Inthemoodfordeauville.com, Inthemoodforcannes.com, Inthemoodforhotelsdeluxe.com, Inthemoodforluxe.com... ), de romans, de scénarii et de nouvelles. en avril 2016, a été publié mon premier roman au cœur des festivals de cinéma, aux Editions du 38: "L'amor dans l'âme" et en septembre 2016, chez le même éditeur, mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles". Pour en savoir plus sur mon parcours, mes projets, les objectifs de ce site, rendez-vous sur cette page : http://inthemoodforfilmfestivals.com/about/ et pour la couverture presse sur celle-ci : http://inthemoodforfilmfestivals.com/dans-les-medias/ . Je travaille aussi ponctuellement pour d'autres médias (Clap, Journal de l'ENA, As you like magazine etc) et je cherche également toujours à partager ma passion sur d'autres médias. Pour toute demande (presse, contact etc) vous pouvez me contacter à : sandrameziere@gmail.com ou via twitter (@moodforcinema, mon compte principal: 5400 abonnés ). Vous pouvez aussi me suivre sur instagram (@sandra_meziere).

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