7 ans de réflexion. Voilà le temps qu’il m’aura fallu avant de découvrir, enfin, le Festival International du Film Policier de Beaune qui célèbre donc déjà sa 7ème édition (succédant à la ville de Cognac où se déroula le festival de 1982 à 2007) dont vous pourrez retrouver l’alléchante programmation dans mon article qui lui est consacré, ici.
A l’opportune invitation de la chaîne 13ème rue -http://www.13emerue.fr – (que connaissent forcément tous les amoureux de séries policières et de cinéma policier et que je remercie à nouveau vivement au passage pour cette invitation et ce bel accueil), me voici donc partie pour de nouvelles pérégrinations festivalières, en Bourgogne cette fois. La petite ville aux ruelles labyrinthiques au centre de laquelle trône les majestueux Hospices de Beaune dégage une sérénité et un charme joliment surannés. Le temps semble s’y être arrêté. Le cadre idéal pour un Festival de cinéma, a fortiori policier, et même pour un film policier… Preuve en est, comme un écho à ce décor de cinéma, que le film d’ouverture débute par vues aériennes d’une Espagne dont les paysages s’apparentent, eux aussi, à un dédale inextricable à la fois fascinant et d’une beauté mystérieusement inquiétante.
Après la présentation des membres des trois jurys du festival et après l’hommage au cinéaste John McTiernan, le festival a en effet débuté par un film de la compétition officielle: « Marshland » (La isla minima) du cinéaste Alberto Rodriguez. En préambule de la projection, ce dernier explique que le film a été un réel succès en Espagne (plus d’un million de spectateurs et plus de six mois à l’affiche). Il arrive ainsi auréolé de ses 10 récompenses à la cérémonie des Goyas (l’équivalent de nos César): meilleur film et réalisateur, meilleur scénario, meilleur interprète masculin, meilleure photographie…
L’histoire se déroule dans le cadre de l’Espagne post-franquiste des années 1980. Une Espagne qui porte encore les stigmates de son Histoire récente dont elle n’a pas encore pansé les plaies, toujours à vif. Deux policiers que tout oppose sont envoyées dans une petite ville d’Andalousie, une Andalousie méconnaissable avec ses marais du Guadalquivir qui semblent dissimuler des secrets inavouables et qui semblent avoir emprunté à la Louisiane sa beauté sauvage et inquiétante. C’est là qu’ils vont devoir enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales.
Dans cette région marécageuse où le temps semble s’être arrêté (décidément…), où la loi du silence semble être de rigueur, ils vont devoir dépasser leurs différences pour démasquer le tueur. Et ce sont ces différences qui représentent le premier intérêt du film. L’un est un flic apparemment intègre, obstiné à découvrir la vérité tandis que son collègue, plus rustre, fait preuve de la même détermination mais semble aussi dissimuler un passé trouble et le rôle peu reluisant qu’il aurait tenu sous le régime franquiste. Le silence est aussi celui auquel semblent réduites les femmes. C’est de leur parole que surgira aussi la vérité, du moins une partie…
Le film nous happe d’abord par sa beauté formelle, parfois aux frontières de l’abstraction, nous immergeant immédiatement dans une atmosphère. Pour paraphraser Arletty, avec la gouaille de rigueur, ce film a en effet une « gueule d’atmosphère » avec ses personnages pittoresques aux visages sur lesquels semblent se dessiner des traits tout aussi labyrinthiques et inquiétants que ceux du paysage qui sert de décor au film. Des visages marqués par l’âpreté de la vie, le silence, de douloureux secrets. Judicieusement froid et rugueux, à l’image des caractères de ses personnages, la part d’ombre et d’animalité qu’ils recèlent (excellent Javier Gutierrez à qui ce rôle a valu un Goya pour son interprétation), ce film est prenant, du début à son dénouement, moins par la résolution de son enquête (ou plutôt la résolution partielle) que par l’époque et le décor qu’il met en scène. La musique, parcimonieuse mais qui exacerbe cette atmosphère où la menace semble constamment planer souligne et parachève cette atmosphère.
Le tableau, d’une beauté âpre, d’un lieu et d’une époque, pas si lointaine qui, à l’image des deux flics, portent en eux de terribles zones d’ombre qui, plus que leur potentiel éclaircissement, constituent la force de ce film réellement prenant et qu’il ne serait pas étonnant de retrouver au palmarès.
La soirée s’est achevée par un cocktail dînatoire qui a permis aux invités du festival de déguster l’exquise cuisine locale et ses succulents breuvages mais là est une autre histoire sur laquelle je reviendrai ultérieurement…
A suivre…