Comme je vous le disais en début de semaine, je couvrirai cette année le Festival International du Film Policier de Beaune, en direct, du 25 au 29 mars. Vous pourrez donc retrouver mes critiques et mon compte rendu ici et en direct du festival sur twitter (@moodforcinema). Je suis d’autant plus ravie de couvrir ce festival que je suis une inconditionnelle du cinéma policier (j’avais fait partie du jury de cinéphiles du festival auquel a succédé le Festival de Beaune, le Festival du Film Policier de Cognac, en bonus, à la fin de cet article, la critique de mon film policier préféré: « Le Samouraï » de Jean-Pierre Melville), que le programme s’annonce cette année particulièrement enthousiasmant avec, notamment, un hommage à Bertrand Tavernier. Les habitués du Festival Lumière de Lyon (retrouvez ici mon compte rendu de l’édition 2014) où il partage chaque année sa passion pour le cinéma et son érudition, comprendront… Parmi les bonnes idées de cette édition, figure également un hommage à Claude Brasseur, une compétition qui s’annonce particulièrement enthousiasmante et des avant-premières hors compétition, notamment celle de « SEA FOG – LES CLANDESTINS » de Shim Sung-bo dont le scénario a été coécrit par Bong Joon-ho.  Vous trouverez le détail de la programmation du festival ci-dessous et vous pourrez télécharger la grille horaire en cliquant ici.

JURYS

Le Jury des longs-métrages serait présidé par la réalisatrice Danièle Thompson. Elle succédera ainsi à Claude Chabrol en 2009, Olivier Marchal en 2010, Régis Wargnier en 2011, Jean-Loup Dabadie en 2012, Pierre Jolivet en 2013 et Cédric Klapisch en 2014. Ce jury sera également composé de: Éric Barbier, Emmanuelle Bercot, Stéphane De Groodt, Philippe Le Guay, Laure Marsac, Jean-François Stévenin et Elsa Zylberstein.

Le Jury Sang Neuf sera composé de Santiago Amigorena (président), Anne Berest, Didier Le Pêcheur, Philippe Lelièvre et Nina Meurisse.

Comme chaque année, un jury composé de policiers de tous horizons assiste aux projections des longs métrages en Compétition et décerne, lors de la cérémonie du Palmarès, le Prix Spécial Police. Il sera cette année composé de :Danielle Thiery (Présidente du jury-Commissaire divisionnaire honoraire), Eric Berot (Commissaire divisionnaire, Chef des Affaires judiciaires du Service Central des Courses & Jeux de la DCPJ), Luis Moisés (Inspecteur-Chef du 1er groupe d’assaut du GOE -Groupe des Opérations Spéciales- et coordonnateur du groupe des négociateurs du Portugal), Jean-Marie Salanova (Contrôleur général, Directeur Départemental de la Sécurité Publique des Yvelines), Michel St-Yves (Psychologue judiciaire-Service de l’analyse du comportement – Sûreté du Québec), Marc Thoraval (Commissaire divisionnaire-Chef de la Brigade criminelle de Paris).

Les films en compétition:

CORRUPTION 2 – LE SANG DES BRAVES de Olaf de Fleur Jóhannesson (Islande et France)

HYENA de Gerard Johnson (Royaume-Uni) 2e film

THE INTRUDER de Shariff Korver (Pays-Bas) 1er film

JAMAIS DE LA VIE de Pierre Jolivet (France)

MARSHLAND de Alberto Rodríguez (Espagne)

LA RÉSISTANCE DE L’AIR de Fred Grivois (France) 1er film

UNE SECONDE CHANCE de Susanne Bier (Danemark)

VICTORIA de Sebastian Schipper (Allemagne)

Synopsis des films en compétition

CORRUPTION 2 – LE SANG DES BRAVES – Olaf de Fleur Jóhannesson (Islande & France)

Déterminé à faire tomber l’un des plus importants syndicats du crime du pays, Hannes, l’ambitieux chef du département des Affaires intérieures de la police de Reykjavik, décide d’ouvrir une enquête sur l’un de ses lieutenants qu’un ex-baron du crime, aujourd’hui derrière les barreaux, a dénoncé comme étant particulièrement corrompu. Il met sur l’affaire une ancienne de la brigade des Stups à qui il demande de surveiller, sous couverture, les faits et gestes de son collègue. Pensant pouvoir faire ainsi coup double en confondant le policier et en arrêtant l’actuel chef du crime organisé, Hannes s’engage alors sur une voie des plus dangereuses…

HYENA 2ème film de Gerard Johnson (Royaume-Uni)

L’officier de police Michael Logan est doté d’une personnalité complexe où se mélangent alcoolisme et corruption. L’univers sinistre dans lequel il évolue est en pleine mutation, en raison de l’arrivée massive à Londres de gangsters albanais sans scrupules qui menacent de bouleverser la scène locale du crime. Jusqu’ici son instinct lui a toujours donné une longueur d’avance sur les autres. Mais son comportement de plus en plus autodestructeur et la brutalité des nouveaux chefs de gangs vont peu à peu entraîner Michael vers le bas d’une dangereuse spirale de peurs et de doutes…

THE INTRUDER 1er film de Shariff Korver (Pays-Bas )

Né aux Pays-Bas d’un père marocain et d’une mère hollandaise, et fraîchement diplômé de l’école de Police, Samir souhaite faire bonne impression auprès de ses supérieurs. En acceptant d’infiltrer une famille marocaine mêlée au trafic de drogue, il tient là l’occasion de faire ses preuves. Accueilli et rapidement accepté par le clan, Samir y trouve ce qui lui a finalement toujours manqué : la sensation d’appartenir à une vraie famille. Le policier se sent alors déchiré entre cette nouvelle famille plus vertueuse qu’il aurait pu penser, et ses confrères de la police, moins irréprochables qu’il aurait pu lui sembler.

JAMAIS DE LA VIE de Pierre Jolivet (France)

Franck, 52 ans, est gardien de nuit dans un centre commercial de banlieue. Il y a dix ans, il était ouvrier spécialisé et délégué syndical, toujours sur le pont, toujours prêt au combat. Aujourd’hui, il est le spectateur résigné de sa vie, et il s’ennuie. Un soir tard, il voit un 4×4 qui rôde sur le parking, et il sent que quelque chose se prépare. La curiosité le sort de son indifférence… Il décide d’intervenir. Une occasion pour lui d’enfin reprendre sa vie en main…

MARSHLAND de Alberto Rodríguez (Espagne)

Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au coeur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.

LA RÉSISTANCE DE L’AIR 1er film de Fred Grivois (France)

Champion de tir au fusil, Vincent mène une vie tranquille entre sa femme et sa fille. Jusqu’au jour où des problèmes d’argent menacent l’équilibre de sa famille et l’obligent à remettre en cause ses projets. Quand, au stand de tir, il rencontre Renaud, un personnage aussi séduisant qu’énigmatique qui lui propose alors un contrat un peu particulier, Vincent met le doigt dans un engrenage des plus dangereux…

UNE SECONDE CHANCE de Susanne Bier (Danemark)

Andreas et Simon sont policiers et amis mais vivent des vies bien différentes. Alors qu’Andreas vit une vie simple avec sa femme et son fils, Simon, qui vient de divorcer, passe la plus grande partie de son temps au bar du coin. Mais tout va changer quand le duo va être appelé pour une dispute entre un couple de junkies. Andreas trouve dans l’appartement le bébé du couple et se retrouve face à un dilemme…

VICTORIA de Sebastian Schipper (Allemagne)

Berlin, à la sortie d’une boîte de nuit. Victoria, une jeune Madrilène, fait la rencontre de Sonne et de ses amis. Les quatre hommes se sont attirés des ennuis et ils demandent à Victoria de les accompagner dans leur virée nocturne en leur servant de chauffeur. Mais la folle aventure tourne rapidement au cauchemar. À l’aube, Victoria et Sonne comprennent qu’ils n’ont maintenant plus rien à perdre…

La compétition Sang Neuf

600 MILES de Gabriel Ripstein

(Mexique )

Arnulfo Rubio, jeune Mexicain trafiquant d’armes opérant entre les États-Unis et le Mexique, ignore être sous la surveillance de l’agent fédéral Hank Harris. À la suite d’une erreur commise par Harris, Rubio est pris de panique, le kidnappe et le fait entrer clandestinement au Mexique. Alors que tout les oppose, les deux hommes se rapprochent progressivement à mesure que le danger les rattrape. Leur seule échappaoire est désormais de se faire mutuellement confiance.

CRUEL de Éric Cherrière

(France)

De nos jours, dans une grande ville française.

Pierre Tardieu est travailleur intérimaire.

Il vit dans une vieille maison avec son père, malade.

Personne n’a conscience de son existence.

Pierre tombe amoureux.

Pierre est un tueur en série.

LIFE ETERNAL de Wolfgang Murnberger

(Autriche & Allemagne)

Brenner retourne à Graz, la ville où il a grandi. Il y retrouve ses anciens amis, son ancienne fiancée et les mauvais souvenirs de ce qui est resté comme une grave erreur de jeunesse. Un coup de feu à la tête manque alors de le tuer… À son réveil du coma dans lequel il a été plongé, il entreprend de retrouver la personne qui aurait essayé de le tuer. Son entourage soutient néanmoins que lui seul est responsable de cet acte… Et personne d’autre.

MAGICAL GIRL de Carlos Vermut (Espagne )

Bárbara est une belle femme vénéneuse et psychologiquement instable, que son mari tente de contenir…

Damián n’ose pas sortir de prison de peur de la revoir…

Luís veut la faire chanter mais ne réalise pas encore qu’il joue avec le feu…

Le trio se retrouve plongé dans un tourbillon de tromperies où la lutte entre la raison et la passion tourne à la guerre des nerfs.

SUNRISE de Partho Sen-Gupta

(Inde & France)

L’inspecteur de police Joshi ne parvient pas à se remettre de la disparition de sa fille Aruna, kidnappée à l’âge de six ans. Malgré les années qui passent, Joshi poursuit ses recherches désespérément. Dans un rêve récurrent qui hante ses nuits, une ombre noire conduit Joshi au « Paradise », un bar de nuit où des adolescentes dansent devant un public libidineux. Joshi est persuadé que c’est là qu’il retrouvera Aruna pour la ramener à Leela, son épouse que le chagrin a brisée.

WHY ME? De Tudor Giurgiu

(Roumanie, Bulgarie & Hongrie)

Jeune magistrat idéaliste promis à une brillante carrière, Cristian doit résoudre une affaire de corruption dans laquelle un de ses confrères est impliqué. Tiraillé entre le désir de faire évoluer sa carrière et celui de faire éclater la vérité, il va devoir affronter le danger, au fur et à mesure que l’enquête avance et que se succèdent surprises et autres révélations.

Hors Compétition

THE BEAST de Hans Herbots

(Belgique)

L’agent Nick Cafmeyer est un inspecteur expérimenté. Son travail acharné lui permet de ne plus penser au traumatisme causé par la mystérieuse disparition de son frère, qui n’en finit pas de le ronger depuis ses neuf ans. Jusqu’au jour où une enquête éprouvante le renvoie à son passé et que débute une implacable chasse à l’homme.

LES ENQUÊTES DU DÉPARTEMENT V : MISÉRICORDE de Mikkel Nørgaard

(Danemark)

Après une bavure qui coûte la vie à l’un de ses collègues et laisse son meilleur ami paralysé, l’inspecteur Carl Mørck a presque tout perdu. Mis sur la touche, privé du droit d’enquêter, il est chargé d’archiver les vieux dossiers du commissariat avec Assad, l’assistant d’origine syrienne qui lui est imposé. Mais très vite, les deux policiers désobéissent à leur supérieur et rouvrent une enquête jamais résolue : celle de la disparition mystérieuse d’une jeune politicienne prometteuse survenue cinq ans auparavant. C’est la naissance du Département V avec sa toute première enquête…

LES ENQUÊTES DU DÉPARTEMENT V : PROFANATION de Mikkel Nørgaard

(Danemark)

En 1994, un double meurtre défraie la chronique. Malgré les soupçons qui pèsent sur un groupe de pensionnaires d’un internat, la police classe l’affaire, faute de preuve. Jusqu’à l’intervention, plus de vingt ans après, du Département V, celui de l’inspecteur Carl Mørck et d’Assad, son assistant d’origine syrienne, spécialisés dans les crimes non résolus. Ensemble, ils rouvrent alors l’affaire qui les amène à enquêter sur l’un des notables les plus puissants du Danemark.

enquêter sur l’un des notables les plus puissants du Danemark.

SEA FOG – LES CLANDESTINS de Shim Sung-bo

(Corée du Sud)

Capitaine d’un bateau de pêche menacé d’être vendu par son propriétaire, Kang décide de racheter lui-même le navire pour sauvegarder son poste et son équipage. Mais la pêche est insuffisante, et l’argent vient à manquer. En désespoir de cause, il accepte de transporter des clandestins venus de Chine. Lors d’une nuit de tempête, tout va basculer et la traversée se transformer en véritable cauchemar…

SON OF A GUN de Julius Avery

(Australie)

Écroué pour un délit mineur, le jeune JR fait rapidement l’apprentissage de la dure réalité de la vie carcérale qu’aucun manuel de survie ne peut enseigner : tête baissée, peine purgée, sortie décrochée ! À la suite d’un incident, l’ennemi public numéro 1 en Australie, Brendan Lynch, décide de prendre le jeune homme sous son aile. Lynch et son gang nourrissent des ambitions bien particulières à l’égard de leur protégé mais ils lui rappellent bien vite que cette protection a un prix : en acceptant de planifier une évasion à haut risque, JR doit tout mettre en oeuvre pour que Lynch retrouve la liberté. En retour, JR prend part à la préparation d’une série de braquages qui peuvent rapporter gros. Alors que la situation se dégrade, et que JR ne sait plus à qui il peut encore se fier, l’affrontement entre lui et son ancien mentor devient inévitable…

Les hommages

 

 Le soir du palmarès, le festival rendra hommage à Bertrand Tavernier, le plus cinéphile et érudit des cinéastes (qui avait reçu, en 2009 des mains de Claude Chabrol, lors de la première édition du Festival, le Grand Prix pour son film « DANS LA BRUME ÉLECTRIQUE. » ).

Le festival rendra également hommage  à Claude Brasseur, le comédien à la voix inimitable et immédiatement reconnaissable.

Enfin, le Festival International du Film Policier de Beaune rendra un troisième hommage, à John McTiernan, le soir de l’ouverture. Le réalisateur de « Piège de cristal », « A la poursuite d’octobre rouge », « Last action hero »…donnera également une leçon de cinéma.

La Corée  à l’honneur: Séoul polar

Depuis sa première édition en 2009, le Festival International du Film Policier de Beaune s’attache à rendre hommage à une ville pour son influence et sa dimension mythologique au sein du genre policier. Après Paris, New York, Hongkong, Londres, Rome/Naples et Mexico, le Festival s’arrêtera cette année à Séoul, voilà qui promet une belle sélection tant le cinéma coréen foisonne de grands films et cinéastes. festivals de cinéma en Europe.

SÉLECTION SEOUL POLAR

2001 BAD GUY (Nabbeun namja)

2003 OLD BOY (Oldeuboi)

2003 MEMORIES OF MURDER (Salinui chueok)

2005 A BITTERSWEET LIFE (Dalkomhan insaeng)

2008 THE CHASER (Chugyeogja)

Les prix littéraires

Le festival a également la bonne idée de mettre à l’honneur la littérature.

Ainsi, depuis 2009, le Festival International du Film Policier de Beaune et le Cercle Rouge, qui réunit des personnalités du monde littéraire et cinématographique récompensent le meilleur roman noir français et étranger de l’année en remettant deux prix littéraires : le Grand Prix du roman noir étranger et le Grand Prix du roman noir français. Le lundi 19 janvier 2015, le comité de lecture chargé de présélectionner 3 romans étrangers et 3 romans français, qui sont ensuite donnés pour lecture au Cercle Rouge, s’est réuni autour d’un déjeuner et a sélectionné les œuvres suivantes, qui concourent cette année pour les Grands Prix du roman noir :  

Grand Prix du roman noir étranger

 Celui qui ne dormait pas de Alessio Viola Éditions Rivages/Thriller 

L’inspecteur est mort de Bill James Éditions Rivages/Noir 

L’été du commissaire Ricciardi de Maurizio de Giovanni Éditions Rivages/Noir 

Grand Prix du roman noir français 

La chute de M. Fernand de Louis Sanders Éditions du Seuil 

Sara la noire de Gianni Pirozzi Éditions Rivages/Noir 

L’homme qui a vu l’homme de Marin Ledun Éditions Ombres Noires 

Le Prix du Premier Roman Policier 

Destiné à révéler un nouvel auteur dans le domaine du roman policier, ce prix est publié aux Éditions du Masque, première collection policière française. En 2015, le jury, composé de Jean-Christophe Grangé, Thomas Chabrol, Marc Fernandez, Sylvie Granotier, Alice Moneger et Christophe Smith, décernera le Prix du Premier Roman policier.

Pour en savoir plus, consultez également le site officiel du festival .

Critique – « Le Samouraï » de Jean-Pierre Melville

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Si je ne devais vous recommander qu’un seul polar, ce serait sans doute celui-ci…

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Jef Costello est un tueur à gages dont le dernier contrat consiste à tuer le patron d’une boîte de jazz, Martey. Il s’arrange pour que sa maîtresse, Jane (Nathalie Delon), dise qu’il était avec elle au moment du meurtre. Seule la pianiste de la boîte, Valérie (Cathy Rosier) voit clairement son visage. Seulement, lorsqu’elle est convoquée avec tous les autres clients et employés de la boîte pour une confrontation, elle feint de ne pas le reconnaître… Pendant ce temps, on cherche à tuer Jef Costello « le Samouraï » tandis que le commissaire (François Périer) est instinctivement persuadé de sa culpabilité qu’il souhaite prouver, à tout prix.

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© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

Dès le premier plan, Melville parvient à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains…mais aussi référence de bien des cinéastes comme Johnny To dans « Vengeance » dans lequel le personnage principal se prénomme d’ailleurs Francis Costello mais aussi Jim Jarmusch dans « Ghost Dog, la voie du samouraï » sous oublier Michael Mann avec « Heat » , Quentin Tarantino avec « Reservoir Dogs » ou encore John Woo dans « The Killer » et bien d’autres qui, plus ou moins implicitement, ont cité ce film de référence…et d’ailleurs très récemment le personnage de Ryan Gosling dans « Drive » présente de nombreuses similitudes avec Costello (même si Nicolas Winding Refn est très loin d’avoir le talent de Melville qui, bien que mettant souvent en scène des truands, ne faisait pas preuve de cette fascination pour la violence qui gâche la deuxième partie du film de Nicolas Winding Refn malgré sa réalisation hypnotique) ou encore le personnage de Clooney dans « The American » d’Anton Corbijn.

Ce premier plan, c’est celui du Samouraï à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei interprété par Bourvil dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis). Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du « Cercle rouge » au début duquel on peut lire la phrase suivante : « Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  » Quand des hommes, même sils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna) ».

Puis, avec calme et froideur (manière dont il agira tout au long du film), Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau, tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant qui ne sied pas forcément à notre époque agitée et tonitruante. Ce chef d’œuvre (rappelons-le, de 1967) pourrait-il être tourné aujourd’hui ? Ce n’est malheureusement pas si certain…

Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. C’est une règle ? Une habitude. » Avec la scène du cambriolage du « Cercle rouge » (25 minutes sans une phrase échangée), Melville confirmera son talent pour filmer le silence et le faire oublier par la force captivante de sa mise en scène. (N’oublions pas que son premier long-métrage fut « Le silence de la mer »).

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© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère grise du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Il porte à la fois le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.

Le scénario sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer au « tous coupables » du « Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».

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© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

Le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant. Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.

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© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

 Que ce soit dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans les films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.

Evidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef d’œuvre sans la présence d’Alain Delon (que Melville retrouvera dans « Le Cercle rouge », en 1970, voir ma critique ici, puis dans « Un flic » en 1972) qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux héros melvillien.

Avec ce film noir, polar exemplaire, Meville a inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il a donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Jef Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.

Sachez encore que le tournage se déroula dans les studios Jenner si chers à Melville, en 1967, des studios ravagés par un incendie…et dans lequel périt le bouvreuil du film. Les décors durent être reconstruits à la hâte dans les studios de Saint-Maurice.

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Sandra Mézière

Blogueuse et romancière. Diplômée en droit, sciences politiques, médiation culturelle (mémoire sur le cinéma avec mention TB) et d'un Master 2 professionnel de cinéma. 15 fois membre de jurys de festivals de cinéma (dont 10 sur concours d'écriture). 22 ans de pérégrinations festivalières. Blogueuse depuis 14 ans. Je me consacre aujourd'hui à ma passion, viscérale, pour le cinéma et l'écriture par l'écriture de 7 blogs/sites que j'ai créés ( Inthemoodforfilmfestivals.com, Inthemoodforcinema.com, Inthemoodfordeauville.com, Inthemoodforcannes.com, Inthemoodforhotelsdeluxe.com, Inthemoodforluxe.com... ), de romans, de scénarii et de nouvelles. en avril 2016, a été publié mon premier roman au cœur des festivals de cinéma, aux Editions du 38: "L'amor dans l'âme" et en septembre 2016, chez le même éditeur, mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles". Pour en savoir plus sur mon parcours, mes projets, les objectifs de ce site, rendez-vous sur cette page : http://inthemoodforfilmfestivals.com/about/ et pour la couverture presse sur celle-ci : http://inthemoodforfilmfestivals.com/dans-les-medias/ . Je travaille aussi ponctuellement pour d'autres médias (Clap, Journal de l'ENA, As you like magazine etc) et je cherche également toujours à partager ma passion sur d'autres médias. Pour toute demande (presse, contact etc) vous pouvez me contacter à : sandrameziere@gmail.com ou via twitter (@moodforcinema, mon compte principal: 5400 abonnés ). Vous pouvez aussi me suivre sur instagram (@sandra_meziere).

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