FESTIVAL LUMIERE DE LYON LYON — 17 octobre 2014

Depuis ma venue au Festival Lumière de Lyon en 2011, je m’étais promis de revenir tant j’étais tombée sous le charme de ce festival, véritable antre de la cinéphilie (à ne plus en savoir où donner de la tête tant les séances, les conférences plus passionnantes les unes que les autres foisonnent aux quatre coins de Lyon), pas seulement en raison de lieu mythique où il se déroule mais aussi en raison de la convivialité qui y règne. J’en profite pour tirer mon chapeau aux équipes du festival, d’une disponibilité rare.

 J’étais d’autant plus motivée cette année que le festival rend hommage à mon cinéaste de prédilection, Claude Sautet (sera même projeté mon film préféré « Un cœur en hiver« ). Vous pouvez d’ailleurs retrouver mon article consacré à cette rétrospective en cliquant ici et notamment ma critique de « Un cœur en hiver » et celle de « César et Rosalie » ainsi que les horaires des séances de ces films dans le cadre du festival. Ne les manquez pas. Ne manquez pas non plus la réédition du livre de Michel Boujut, « Conversations avec Claude Sautet » avec des préfaces et une postface inédites, un livre incontournable pour ceux qui aiment le cinéma « de la dissonance » de Claude Sautet ou pour ceux qui souhaitent mieux le connaître. Très instructif également: le documentaire de Binh projeté dans le cadre du festival. C’est parti pour le résumé de mes deux premières journées au festival qui déjà valaient le déplacement tant elles furent passionnantes et diversifiées. Je dois avouer avoir eu encore des frissons en pénétrant dans ce lieu tant chargé d’Histoire du cinéma et d’histoires qu’est l’Institut Lumière, quartier général du festival.

Retrouvez également mes articles précédents consacrés au festival:

Retrouvez mon compte rendu du Festival Lumière de Lyon 2011

Master class de Ted Kotcheff:

A peine étais-je arrivée que j’assistais à une passionnante master class de Ted Kotcheff à qui le festival rend hommage. Le réalisateur canadien a souvent été primé dans les festivals de cinéma et a connu la consécration publique avec « Rambo ». Le festival nous permet de redécouvrir l’un de ses premiers films « Réveil dans la peur » mais aussi « L’apprentissage de Duddy Kravitz » et bien sûr « Rambo ». Les master class (ou plutôt les rencontres car, comme l’a souligné Thierry Frémaux, manque un terme français pour désigner ces rencontres et pour remplacer cet anglicisme communément utilisé) ont lieu dans une petite salle de l’Institut Lumière, ce qui leur confère l’intimité qui sied particulièrement à ce genre de rencontres et contribue à créer des moments uniques. Voici un extrait vidéo de cette master class et quelques citations de Ted Kotcheff lors de celle-ci.

« J’adore travailler au théâtre car j’adore diriger les acteurs » a dit Ted Kotcheff, racontant avoir même pris des cours de théâtre pour diriger les acteurs, ce qu’il préfère car  » ce sont toujours des moments très intenses. »  Il  considère Gene Hackman (qui avait coutume de lui dire « Give me some business ») comme un des plus grands acteurs de cinéma.

Il est venu du Canada s’installer en Europe car il n’y avait, selon lui, pas vraiment de cinéma à cette époque au Canada. Il a ainsi vécu dans les Alpes Maritimes. Ayant « un grand amour pour le romantisme à la Hemingway », pour lui, pour vivre des choses, il fallait aller en Europe. Quand il a commencé en Angleterre, il a fait 4 films sur la télévision. Dans les années 1960, il alternait une pièce- un film / une pièce – un film.

 « Je n’ai jamais travaillé pour l’argent. Je ne fais que des films que j’aime et que j’ai envie de faire », a-t-il souligné. » Je ne fais que des films qui me passionnent. »

Il a également raconté avoir changé la fin du film « Rambo » parce que Warner lui disait que le public américain ne voulait rien voir sur l’échec de la guerre du Vietnam. Il a travaillé 6 mois sur la première grande version du script. Les grands studios n’en voulaient pas.

Pour lui,  Stallone a un vrai sens populaire, il sait ce que le public veut. Ils ont retravaillé le script ensemble.  Quand les vétérans sont rentrés du Vietnam, il n’y avait pas de place pour eux, a-t-il raconté. 1000 par mois tentaient de se suicider. 1/3 y arrivaient. Pour lui Rambo était un soldat en mission suicide. Et il était important de relier ces deux idées. « Une fois le film terminé » nous avons fait des projections test a-t-il raconté. Dans une petit ville de banlieue de Las Vegas où il a fait des projections test, les gens hurlaient quand Rambo s’est fait exploser la tête. Tout le monde disait  » c’est le meilleur film d’action de ma vie sauf la fin » et Ted a alors dit aux financiers qu’il avait une fin alternative et, selon ses propres termes « ça à été un carton ».

En 1971, était projeté « Réveil dans la terreur ». Ted aime les personnages qui ne savent pas qui ils sont peut-être parce que lui-même ne sait pas qui  il est, a-t-il également ajouté. « J’adore la France et les Français . Vous savez pourquoi? Parce que vous aimez mes films. »a-t-il également raconté avec beaucoup d’humour.  Son film a tourné 9 mois en France. Des critiques ont dit que c’était la main d’un maître puis le film s’est perdu pendant 30 ans. À Hollywood, si un film ne marche pas, un film va à la poubelle, a-t-il raconté. Les bobines sont allées à la poubelle et le négatif à été perdu jusqu’ à ce qu’il soit retrouvé dans une cuve sur laquelle était marqué « A détruire ». Il a également raconté que seulement 2 films ont été projetés deux fois à Cannes, le sien  et « L »avventura » d’Antonioni. Thierry Frémaux avait ainsi réinvité le film à Cannes.

« Mes acteurs sont mes enfants et on ne peut détester ses enfants » a-t-il expliqué citant comme acteurs préférés Stallone, Hackman, Bisset, Jane Fonda. « J’aime tous les acteurs avec qui je travaille ».

Il a également raconté une anecdote passionnante avec Antonioni et un coup de fil de ce dernier  quand il venait de faire « Life at the top », disant beaucoup aimer son film et lui demandant de faire des suggestions pour des coupes dans « Blow up ». Kotcheff a ainsi fait des suggestions. Pour le remercier, Antonioni l’a emmené déjeuner. Il en a profité pour lui demander pourquoi il y avait toujours au moins 8 scénaristes à ses génériques. Antonioni a alors raconté avoir fait d’abord le film en images comme s’il était muet, avec un premier scénariste puis il s’est ensuite demandé quel scénariste serait le plus approprié pour chaque type de scène : scène entre mari et femme etc d’où les 8 scénaristes. Kotcheff a ainsi compris qu’un film n’est qu’une suite d’images.

Ceux qui l’ont  influencé : Godard, Truffaut, Antonioni, Fellini et évidemment Welles avec « Citizen Kane » qui lui a appris « une autre structure du temps filmique ».

Il a terminé en racontant qu’aux USA il appartient à la Guilde des réalisateurs américains et que dans ce cas on était obligé de lui proposer la suite de « Rambo ». Il a expliqué avoir lu le « Rambo 2 » et  avoir refusé parce que « Rambo 1 » était un film contre la guerre alors que le 2 en faisait l’apologie.

Bientôt, pour compléter ce compte rendu, retrouvez une vidéo de la master class avec, notamment, une anecdote de Ted Kotcheff sur Ingrid Bergman.

Ciné-concert « Berlin, symphonie d’une grande ville » de Walther Ruttmann

Après cette instructive master class, direction le mythique hangar du 1er film pour mon premier ciné-concert au Festival Lumière. C’est cela la magie du cinéma et de ce festival: passer d’un univers à l’autre, en quelques secondes être transportée ailleurs. Et là…je dois dire que j’en frisonne encore en repensant à ce moment de virtuosité, cette symphonie visuelle envoûtante. Dès que les notes de piano ont empli, envahi la salle, j’ai oublié où j’étais pour être emportée dans ce Berlin de 1927. J’ai d’ailleurs du mal à croire que le film date de 1927 tant il semble moderne, presque actuel. Il semble déjà contenir toute la diversité et la magie du cinéma. Cela commence à 5 heures du matin, un jour de 1927. Berlin s’éveille et, en même temps, la vie économique et sociale. De son réveil à son endormissement, d’une voie de chemin de fer qui nous emporte sur ses rails à un feu d’artifice, le voyage dans la vie de cette métropole est étourdissant, éblouissant. Les notes du piano tantôt douces, tantôt presque violentes, lyriques, ironiques, transcendent la beauté et la force des images. Lors de la présentation, on nous a raconté que le jeune pianiste du Conservatoire de Lyon qui accompagnait les images au piano improvisait (j’ai du mal à le croire tant chaque note s’accordait avec chaque scène avec une perfection qui forçait l’admiration). Je garderai très longtemps en mémoire ce moment de magie dans le hangar du premier film et ces images si modernes dont la force était exacerbée par celle de la musique: de ces feuilles qui volent à ces avions avec lesquels j’avais l’impression de moi aussi m’envoler en passant par toutes ces scènes drôles ou virevoltantes  qui contiennent une ampleur d’une beauté folle qui semblait déjà contenir toute la puissance du cinéma. Cette séance faisait partie d’une sélection intitulée « sublimes moments du muet ». Sublime, oui, indéniablement.

« Thérèse Raquin » de Marcel Carné

Dans le cadre de la remise du Prix Lumière à Pedro Almodovar sont projetés des films de son choix « El cine dentro de mi » (le cinéma en moi), des films dont Pedro Almodovar parle ainsi (citation du programme du festival): « A l’ère où le cinéma grand public semble déterminé à refléter, voire à imiter, les consoles de jeux, j’aime l’idée d’utiliser le cinéma et de montrer qu’il peut se reflèter lui-même. Je serais incapable de parler de l’existence sans parler des films que je vois ou de ceux que voient mes personnages: le cinéma s’inspire de lui-même comme une partie intégrante de la vie. Ainsi, les films qui apparaissent dans les miens remplissent des rôles très variés. »

Parmi ces films, sont notamment projetés dans le cadre du festival « Johnny Guitar » de Nicholas Ray dont vous pouvez retrouver ma critique en cliquant ici mais également « Thérèse Raquin » qu’il cite dans « La mauvaise éducation ». C’était là aussi pour moi un vrai moment de magie que de revoir ce film de Marcel Carné de 1953 qui a reçu le Lion d’argent au Festival de Venise en 1955 que j’ai vu plusieurs fois mais sans jamais, jusqu’à aujourd’hui (ne l’ayant jamais vu en salles), entendre les réactions du public qui lui conféraient encore une dimension supplémentaire et prouvaient (à ceux qui en auraient douté) l’intemporalité des grands auteurs, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques. Cette adaptation du célèbre roman de Zola qui se déroule d’ailleurs à Lyon (et non à Paris comme dans le roman) dissèque les petitesses de la petite bourgeoisie de province avec un regard acéré et sans concessions, procurant au film une portée universelle. Comme souvent chez Carné, on retrouve le thème de la fatalité, même si le réalisme est ici plus psychologique que poétique. Simone Signoret apporte au personnage de Thérèse Raquin un mélange de force, de beauté, de vulnérabilité, de passion, absolument irrésistibles. Face à elle, il fallait le charisme d’un acteur comme Raf Vallone pour former ce couple magnifique. A la fois drame social, thriller sentimental, réflexion sur la fatalité, « Thérèse Raquin est un classique à voir et revoir.

Il faut « surprendre avec ce qu’on attend » avait coutume de dire Claude Sautet, c’est un peu ce qui arrive à la spectatrice que je suis au Festival Lumière. Etre surprise avec ce que j’attends, redécouvrir les films que je connais, en découvrir une autre facette, et les aimer davantage encore…

Conférence de presse de Keanu Reeves

Dans le cadre des Documentaires sur le cinéma projetés au festival, est notamment projeté « Side by side » de Christopher Kenneally produit par Keanu Reeves, une enquête sur le passage de l’argentique au numérique menée par Keanu Reeves lui-même, l’occasion d’entendre de grands cinéastes comme David Lynch ou George Lucas. En attendant ma critique, voici quelques extraits de cette conférence de presse.

height= »315″>Bientôt, d’autres vidéos de cette conférence de presse…

Master class de Michael Cimino

Dernier événement de ces deux premiers jours au festival déjà bien chargés avec la master class de Michael Cimino, toujours dans la petite salle de l’Institut Lumière, encore un moment dont on aurait aimé qu’il s’éternise et que la personnalité forte et atypique de Cimino a contribué à éclairer. Entre interpellation du public et notes de musique entonnées (il a commencé en saluant quelques spectateurs puis en chantant « I love you baby »), une leçon de cinéma et d’écriture mais surtout un beau moment de festival dont voici quelques citations.

« Il faut être complètement fou pour écrire. J’ai commencé par écrire un scénario car je ne savais pas écrire.  Il y a une règle dans l’écriture de scénario: vous ne pouvez pas faire pleurer les gens sans les avoir faits rire avant car, quand on rit avec les gens, c’est qu’on les aime. Le numérique ne peut pas vous faire rire ou pleurer. »

« C’est ce qui m’intéresse: parler des gens. Ce ne sont pas les idées qui m’intéressent, ce sont les personnages. Vous vous souvenez d' »Anna Karenine », d' »Emma Bovary »? Et même dans « Autant en emporte le vent », vous vous souvenez de Rhett Butler. »

 » Je ne suis pas un maître. Je réfute ce terme. Je suis seulement un plasticien. « 

« On doit aller au bout des choses.  Il faut persister. Cela exige un degré de folie. Il faut être convaincu que ce qu’on écrit va être lu. C’est une occupation très rude. C’est pour ça que beaucoup d’écrivains boivent. Il y a beaucoup de joie dans ce travail très dur. Il n’y a pas de joie sans privation. »

« Mes films se sont produits par hasard. Le meilleur film est toujours le suivant. Cela fait  20 ans que j’essaie de faire mon prochain film. »

 » À condition que vous chantiez, que vous dansiez, vous êtes vivants. J’aurais rêvé de faire une comédie musicale. »

« J’ai voulu adapter « La condition humaine » de Malraux. Je pense que 50 scénarii au moins ont été écrits mais aucun n’a réussi car tous les scénarii ont essayé de suivre le livre à la lettre. « La condition humaine » n’a pas de structure de dramaturgie, c’est sa philosophie de la vie. C’est comme si on voulait adapter Cicéron. La grande difficulté avec « La condition humaine », c’est que tout ce qu’on met dans scénario doit être de même niveau que ce qui est dans le roman et c’est très difficile. »

Son conseil à un jeune réalisateur dans la salle (qui fait d’ailleurs écho à celui, similaire, de Ted Kotcheff lors de sa master class) : »Allez étudier dans une école d’acteurs car vous saurez comment un acteur travaille. Ainsi, Laurence Olivier ne pouvait pas jouer un personnage tant qu’il n’avait pas compris le personnage. »

Cimino a terminé avec ce qui sera le mot de la fin de cette journée « Never give up! ».

Je ne saurais trop vous conseiller, si vous êtes à Lyon, de flâner dans la librairie/dvdthèque du festival, véritable caverne d’Ali Baba pour cinéphiles. Ne manquez pas non plus « Monsieur Klein », chef d’œuvre de Losey, demain, à 14H30 au Pathé Bellecour. Retrouvez ma critique, ici.

 Une belle journée s’annonce pour moi demain avec la master class de Pedro Almodovar, un film de Claude Sautet et un film de Capra… Never give up… A suivre!

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Sandra Mézière

Blogueuse et romancière. Diplômée en droit, sciences politiques, médiation culturelle (mémoire sur le cinéma avec mention TB) et d'un Master 2 professionnel de cinéma. 15 fois membre de jurys de festivals de cinéma (dont 10 sur concours d'écriture). 22 ans de pérégrinations festivalières. Blogueuse depuis 14 ans. Je me consacre aujourd'hui à ma passion, viscérale, pour le cinéma et l'écriture par l'écriture de 7 blogs/sites que j'ai créés ( Inthemoodforfilmfestivals.com, Inthemoodforcinema.com, Inthemoodfordeauville.com, Inthemoodforcannes.com, Inthemoodforhotelsdeluxe.com, Inthemoodforluxe.com... ), de romans, de scénarii et de nouvelles. en avril 2016, a été publié mon premier roman au cœur des festivals de cinéma, aux Editions du 38: "L'amor dans l'âme" et en septembre 2016, chez le même éditeur, mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles". Pour en savoir plus sur mon parcours, mes projets, les objectifs de ce site, rendez-vous sur cette page : http://inthemoodforfilmfestivals.com/about/ et pour la couverture presse sur celle-ci : http://inthemoodforfilmfestivals.com/dans-les-medias/ . Je travaille aussi ponctuellement pour d'autres médias (Clap, Journal de l'ENA, As you like magazine etc) et je cherche également toujours à partager ma passion sur d'autres médias. Pour toute demande (presse, contact etc) vous pouvez me contacter à : sandrameziere@gmail.com ou via twitter (@moodforcinema, mon compte principal: 5400 abonnés ). Vous pouvez aussi me suivre sur instagram (@sandra_meziere).

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