ACTUALITES — 12 janvier 2015

Comme chaque année, début janvier rime avec l’annonce des nominations pour les Prix Lumières 2015, l’équivalent français des Golden Globes, décernés à des films français et francophones par la presse étrangère. Depuis 3 ans, la cérémonie met un pays à l’honneur, cette année le Québec. La cérémonie se déroulera le 2 février, comme l’an passé, à l’Espace Pierre Cardin.

  « La Famille Bélier » d’Eric Lartigau, le succès en salles de la fin d’année 2014 (déjà plus de 4 millions de téléspectateurs) récolte 4 nominations, de même que  « Trois cœurs » de Benoît Jacquot  et « Saint Laurent » de Bonello.

 Dans la catégorie meilleur film, je suis ravie de trouver « Timbuktu« , le film de l’année 2014, plus que jamais d’actualité, plus vibrant et percutant des plaidoyers contre le fanatisme,  un film empreint d’une poésie et d’une sérénité éblouissantes, de pudeur et de dérision salutaires, signifiantes : un acte de résistance et un magnifique hommage à ceux qui subissent l’horreur en silence. Sissako souligne avec intelligence et retenue la folie du fanatisme et de l’obscurantisme religieux contre lesquels son film est un formidable plaidoyer dénué de manichéisme, parsemé de lueurs d’humanité et finalement d’espoir, la beauté et l’amour sortant victorieux dans ce dernier plan bouleversant, cri de douleur, de liberté et donc d’espoir déchirant à l’image de son autre titre, sublime : « Le chagrin des oiseaux ». Le film de l’année. Bouleversant. Eblouissant. Brillant. Nécessaire.

Parmi les nommés dans cette catégorie, je me réjouis également de trouver « Trois cœurs » de Benoit Jacquot, passé inaperçu lors de sa sortie, un de mes coups de cœur de l’année, récemment nommé également au Prix Louis Delluc (décerné à « Sils Maria »). Benoit Poelvoorde (nommé ici comme meilleur acteur), une fois de plus, à un personnage sur le papier banal, apporte sa fragilité, sa folie, sa singularité, son étrangeté, sa séduction nous rappelant qu’il n’excelle jamais autant que dans ces rôles d’hommes en apparence ordinaires à qui il arrive des histoires extraordinaires. Dans ce film, certes, parfois, Benoît Jacquot use et abuse (à dessein) des clichés (le miroir pour exprimer la dualité, le conflit, les deux visages, les signes et coups du destin comme ces plans insistants sur l’heure) mais « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point »…et ne cherche parfois pas à connaître, et le mien s’est emballé pour ce film empreint de noirceur, de romantisme, de désenchantement, de tragédie et pour ces trois acteurs follement séduisants, et désespérément humains pris dans ce drame presque hitchcockien, inextricable et passionnant.

 Je suis assez stupéfaite de trouver « La famille Bélier » dans la catégorie meilleur scénario alors que celui-ci comporte pas mal de failles scénaristiques, , lui préférant « La French » de Cédric Jimenez qui a remis à l’honneur le polar à la française. Un « french » film doté des qualités que certains prêtent uniquement au cinéma américain, oubliant un peu vite ou méconnaissant l’histoire du cinéma français, riche de chefs d’œuvre du cinéma policier. Plus qu’un film policier, une page de notre Histoire (passionnantes scènes avec Gaston Defferre, sur son rôle trouble), un récit à la fois intime et spectaculaire palpitant, le film qui réconcilie les années 1970 avec le cinéma contemporain et qui plaira autant aux amateurs de l’un qu’aux amateurs de l’autre, mais aussi aux amoureux du cinéma de Scorsese (vers lequel lorgne évidemment Jimenez autant de par ses mouvements de caméra, la construction du film, son univers que l’usage de la musique, notamment, à noter, une bo remarquable) qu’à ceux de celui de Deray ou Verneuil. Bref, 2H15 que vous ne verrez pas consacrer à « La French » et que vous auriez tort de ne pas  passer dans la ville de « Borsalino » avec un face-à-face qui a la force du duo/duel Delon/Belmondo.

 Pour la meilleure actrice, mon cœur balance entre toutes les nommées…au premier rang desquelles Juliette Binoche, splendide dans cette polysémique mise en abyme (qui ne récolte malheureusement qu’une nomination), mais aussi Emilie Dequenne, Charlotte Gainsbourg (exceptionnel dans « Trois cœurs » de Benoît Jacquot et « Samba » de Eric Toledano et Olivier Nakache et nommée pour les deux, incarnant dans le second   une Alice dotée d’une folie douce, entre force et fragilité, rendant son personnage séduisant, agaçant avec charme, passant du rire aux larmes, et nous faisant nous aussi passer du rire aux larmes), Adèle Haenel, Sandrine Kiberlain, Karin Viard.

Le choix sera tout aussi cornélien pour le prix du meilleur acteur, avec un cas de figure inédit et néanmoins prévisible tant ces derniers excellent dans leurs rôles, puisque deux acteurs sont nommés pour un même rôle dans deux films différents, Gaspard Ulliel dans le film de Bonello sur Saint Laurent et Pierre Niney dans le film de Jalil Lespert, également sur Saint Laurent. Mon choix penche pour le second, autant pour le film que pour la performance, soutenant Pierre Niney depuis que son jeu m’avait totalement subjuguée dans « J’aime regarder les filles » découvert au Festival de Cabourg. Dans le « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert, il a l’intelligence de ne jamais tomber dans l’imitation mais il EST littéralement Yves Saint Laurent, dans sa touchante complexité, ses démons, sa vulnérabilité, sa gaucherie, son talent, sa gentillesse (presque une qualité audacieuse quand le cynisme est tristement à la mode). Un film qui fait  subtilement danser et s’entrelacer élégance et irrévérence, douceur et noirceur, gaieté de l’art et mélancolie de l’artiste, au chic  rock’n’roll. Un film universel sur un homme singulier.  Un film qui a du style, comme celui dont il retrace l’existence et « les modes passent, le style est éternel » disait ainsi Yves Saint-Laurent. Un mélange d’extravagance et de vulnérabilité comme celles qui caractérisaient Saint Laurent, de couleurs joyeuses comme celles du Maroc qu’il affectionnait tant et de mélancolie ou peut-être de « ce sentiment inconnu, dont l’ennui, la douceur m’obsèdent », et qui porte « le beau nom grave de tristesse » pour paraphraser Sagan. Et, surtout, la performance d’un acteur, Pierre Niney, (qui ne donne jamais l’impression d’en être une) à la démesure de la personnalité qu’il incarne. Deux artistes aussi fascinants l’un que l’autre. La découverte de la vie et des talents fascinants de l’un révèle le talent éblouissant de l’autre. Un bel hommage à la mode dont Saint Laurent a fait un art, aussi (il suffit de voir la Collection Mondrian mais aussi toutes celles tant imprégnées des autres arts, de peinture essentiellement), et à cette passion (créatrice, amoureuse) chère à Jack London  qui suscite certes la souffrance mais qui fait aussi tellement vibrer, se surpasser, se mettre en danger. Exister. Etre libre. Oui, Saint Laurent était un être magnifiquement libre.

 Sans surprise, Roman Duris figure également parmi les nommés pour « Une nouvelle amie » de François Ozon. Le comédien éprouve un plaisir, communicatif, à incarner ce personnage donnant vie à une Virginia, diaboliquement féminine et férocement présente. Anaïs Demoustier est, quant à elle, d’une justesse sidérante et parvient à trouver sa place (ce qui n’était pas gagné d’avance) face à ce personnage haut en couleurs et charismatique, singulièrement touchant.  Dans ce nouveau film trouble, troublant, d’un classicisme équivoque, d’un charme ambigu, Ozon fait une nouvelle fois brillamment coïncider le fond et la forme et fait se rencontrer Almodovar, Woody Allen, Xavier Dolan avec un zeste d’Hitchcock, mais ce serait faire offense à Ozon que de l’enfermer dans ces comparaisons, aussi prestigieuses soient-elles, tant chacun de ses films portent la marque de son univers, à l’image de ses personnages : singulier et d’une jubilatoire ambivalence. J’attends déjà le prochain avec impatience… Et puis, bien sûr, le bouleversant Benoît Poelvoorde évoqué plus haut.

Egalement remarquable dans « La prochaine fois je viserai le cœur » et « L’homme qu’on aimait trop », Guillaume Canet figure également aussi parmi les nommés.

 Sans hésiter la révélation féminine est pour moi Lou de Laâge dans « Respire » de Mélanie Laurent qui trouvera notamment face à elle Louane Emera très remarquée dans « La famille Bélier ». Lou de Laâge   excelle une nouvelle fois dans ce rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va  se révéler venimeuse, double, perverse. Un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux  exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec Charlie dans cet abyme mental en apparence inextricable.Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la  seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin.

Pour le meilleur film francophone, « Mommy » de Xavier Dolan devrait l’emporter même si les Dardenne sont de sérieux concurrents.  Une fable sombre inondée de lumière, de musique, de courage, quadrilatère fascinant qui met au centre son antihéros attachant et sa mère dans un film d’une inventivité, maturité, vitalité, singularité,  émotion rares et foudroyantes de beauté et sensibilité. Un coup de foudre.

 

Meilleur film

Bande de filles

La Famille Bélier

Pas son genre

Saint Laurent

Timbuktu

Trois Coeurs

Meilleur réalisateur

Lucas Belvaux, Pas son genre

Bertrand Bonello, Saint Laurent

Benoît Jacquot, Trois Coeurs

Cédric Kahn, Vie Sauvage

Céline Sciamma, Bande de filles

Abderrahmane Sissako, Timbuktu

 Meilleur scénario original ou adaptation

Thomas Lilti, Julien Lilti, Baya Kasmi, Pierre Chosson – Hippocrate

Philippe de Chauveron, Guy Laurent – Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu

Audrey Diwan, Cédric Jimenez – La French

Jeanne Herry, Gaelle Mace – Elle l’adore

Thomas Bidegain, Bertrand Bonello – Saint Laurent

Stanislas Carré de Malberg, Victoria Bedos – La famille Bélier

Meilleure actrice

Juliette Binoche, Sils Maria

Emilie Dequenne, Pas son genre

Charlotte Gainsbourg, Trois Coeurs et Samba

Adèle Haenel, Les Combattants et L’Homme qu’on aimait trop

Sandrine Kiberlain, Elle l’adore

Karin Viard, La Famille Bélier et Lulu, Femme nue

Meilleur acteur

Guillaume Canet, La prochaine fois je viserai le coeur et L’homme qu’on aimait trop

Romain Duris, Une nouvelle amie

Mathieu Kassovitz, Vie Sauvage

Pierre Niney, Yves Saint Laurent

Benoit Poelvoorde, Trois Coeurs

Gaspard Ulliel, Saint Laurent

Révélation féminine de l’année

Louane Emera , La Famille Bélier

Joséphine Japy, Respire

Alice Isaaz, La Crème de la crème

Lou de Laage, Respire

Ariane Labed, Fidelio, l’odyssée d’Alice

Karidja Touré, Bande de filles

Ana Girardot, Le Beau Monde et La Prochaine fois je viserai le coeur

Révélation masculine de l’année

Kevin Azais, Les Combattants

Thomas Blumenthal, La Crème de la crème

Bastien Bouillon, Le Beau Monde

Jean-Baptiste Lafarge, La Crème de la crème

Didier Michon, Fièvres

Pierre Rochefort, Un beau dimanche

Marc Zinga, Qu’Allah bénisse la France

Meilleur premier film

Les Combattants, Thomas Cailley

Party Girl, Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis

Elle l’adore, Jeanne Herry

Chante ton Bac d’abord, David André

Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik

Tristesse Club, Vincent Mariette

Meilleur film francophone (hors France)

C’est eux les chiens, Hicham Lasry, Maroc

Deux jours une nuit, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Belgique

Fievres, Hicham Ayouch, Maroc

L’Oranais, Lyes Salem, Algérie

Mommy, Xavier Dolan, Canada

Run, Philippe Lacôte, Côte d’Ivoire

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Sandra Mézière

Blogueuse et romancière. Diplômée en droit, sciences politiques, médiation culturelle (mémoire sur le cinéma avec mention TB) et d'un Master 2 professionnel de cinéma. 15 fois membre de jurys de festivals de cinéma (dont 10 sur concours d'écriture). 22 ans de pérégrinations festivalières. Blogueuse depuis 14 ans. Je me consacre aujourd'hui à ma passion, viscérale, pour le cinéma et l'écriture par l'écriture de 7 blogs/sites que j'ai créés ( Inthemoodforfilmfestivals.com, Inthemoodforcinema.com, Inthemoodfordeauville.com, Inthemoodforcannes.com, Inthemoodforhotelsdeluxe.com, Inthemoodforluxe.com... ), de romans, de scénarii et de nouvelles. en avril 2016, a été publié mon premier roman au cœur des festivals de cinéma, aux Editions du 38: "L'amor dans l'âme" et en septembre 2016, chez le même éditeur, mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles". Pour en savoir plus sur mon parcours, mes projets, les objectifs de ce site, rendez-vous sur cette page : http://inthemoodforfilmfestivals.com/about/ et pour la couverture presse sur celle-ci : http://inthemoodforfilmfestivals.com/dans-les-medias/ . Je travaille aussi ponctuellement pour d'autres médias (Clap, Journal de l'ENA, As you like magazine etc) et je cherche également toujours à partager ma passion sur d'autres médias. Pour toute demande (presse, contact etc) vous pouvez me contacter à : sandrameziere@gmail.com ou via twitter (@moodforcinema, mon compte principal: 5400 abonnés ). Vous pouvez aussi me suivre sur instagram (@sandra_meziere).

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