ACTUALITES — 18 novembre 2012

Mercredi, au cinéma l’Arlequin, s’ouvrait l’édition de « Regards de Russie » qui s’achève le 20 novembre, et qui propose une belle sélection de films russes très divers permettant de se faire une idée de la production cinématographique russe contemporaine (notamment au programme : « Faust » de Sokourov, lion d’or du dernier Festival de Venise).

Le cinéma l’Arlequin, qui se nommait auparavant le Cosmos,  effectue là un retour aux origines nous a expliqué Sophie Dulac, présidente des cinéma Les Ecrans de Paris, puisqu’il était à ses débuts un cinéma d’art et d’essai russe. Ensuite, Renat Davletiarov, le producteur du festival, a présenté le festival et réalisateur Pavel Lounguine, venu présenter son dernier long-métrage Le Chef d’Orchestre.

 C’est donc le célèbre cinéaste russe Pavel Lounguine qui a ouvert le festival avec « Le Chef d’orchestre » qui, selon ce dernier, est le dernier film et le dénouement de sa trilogie « L’île » et « Tsar », un film avec lequel il dit avoir « voulu unir cette musique religieuse à une histoire beaucoup plus quotidienne ».

Un chef d’orchestre (interprété par l’acteur lettonien Vladas Bagdonas ) se rend avec ses musiciens à Jérusalem pour y jouer l’Oratorio  » La Passion selon St Matthieu « . La tournée se transforme rapidement en une tragédie. Sous le soleil noir de Jérusalem, le masque de l’heureux artiste tombe et le personnage principal se voit confronté, dans un dépouillement impitoyable, à lui-même, à son égoïsme et sa dureté. Trois des interprètes de l’orchestre vont aussi connaître des drames et par la tragique ironie du destin vont influer sur le destin d’une femme russe en pèlerinage à Jérusalem.

L’intrigue se déroule sur 3 jours et le film est très court (1H26), ce qui ne le rend que plus intense grâce à un montage brillant qui nous permet de suivre le parcours mystique, initiatique, de ce chef d’orchestre a priori particulièrement antipathique, rigide, qui va peu à peu laisser tomber son marque d’orgueil et de dureté et même apprendre, enfin, à esquisser un sourire, progressivement rongé par le remord, celui de n’avoir pas su comprendre et aimer son fils mort à Jérusalem. Mais dire cela c’est déjà en dire trop car le film recourt à une judicieuse économie de dialogues et d’explications et, à l’image d’une musique sublime, âpre et envoûtante comme celle qui porte ce film, ce dernier se ressent plus qu’il ne se raconte.

Sur ces drames contemporains, la musique lyrique, mystique, dramatique de « La Passion selon Saint Mathieu », à la fois exacerbe la cruauté de ces drames et les embellit, leur apporte une aura, mêle drame intime et musique intemporelle avec une cruelle flamboyance.

Le grand intérêt du film est le personnage de Vladas Bagdonas qui interprète cet homme redouté, opaque, mystérieux, ombrageux dont la carapace va peu à peu se craqueler, même si les personnages secondaires ne sont pas pour autant oubliés et permettent parfois d’apporter une petite pincée d’humour, notamment avec ce personnage qui tente par tous les moyens d’échapper à sa femme.

Le film est riche en symboles qui n’alourdissent pas le récit mais au contraire se justifient par la musique et le lieu choisis (Jérusalem n’est évidemment pas un hasard) : parallèle entre le corps sans vie du fils et le corps allongé du père presque désincarné, chemin de croix signifié par l’ascension à Jérusalem, visage du père à demi dans la pénombre pour signifier sa part d’ombre.

 Pavel Lounguine brasse les sujets : le deuil, le pardon (surtout à soi-même), l’incommunicabilité entre les générations, entre les hommes et les femmes, mais aussi le caractère irréparable de certains actes (la scène du drame à Jérusalem est certes une facilité scénaristique). La beauté, la force, le tragique de la musique atteignent leur paroxysme lors du concert pendant lequel se joue un autre drame. S’entremêlent alors les histoires et se révèlent les conséquences tragiques des actes de chacun.

Il semble incroyable que ce film n’ait pas encore de distributeur en France. Il le mérite à plus d’un titre : d’abord pour l’interprétation incroyable de Vladas Bagdonas, terriblement crédible dans ce rôle de chef d’orchestre face à lui-même et aux conséquences de sa dureté, et réjouissamment complexe, ensuite pour la mise en scène tout en parallèles, jeux de lumières (entre lumière blafarde des intérieures tet lumière chaleureuse de la ville) et de musique qui est à la fois paradoxalement riche de symboles et d’implicite (les premières scènes prennent une couleur toute différente quand nous savons ce qu’a reçu par fax le chef d’orchestre, sublime scène aussi lorsqu’il se confie à une jeune femme dans une langue qu’elle ne comprend pas mais dont la « musique » lui permet de comprendre le sens ), également pour la musique qui anoblit et transcende le film, enfin pour le scénario judicieusement écrit qui entrelace ces destins, et qui fait appel à l’intelligence du spectateur pour scénariser le passé et le devenir des personnages. Un chef d’orchestre agréablement rude et opaque dans un cinéma où les histoires et les personnages sont de plus en plus aseptisés, un film porté par la force rageuse, féroce, lyrique, de la musique, par un montage malin et par la caméra pudique et lyrique de Pavel Lounguine. Un film à voir et ressentir, vraiment !

Cliquez ici pour retrouver toutes les informations pratiques sur « Regards de Russie 2012 ».

 

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Sandra Mézière

Blogueuse et romancière. Diplômée en droit, sciences politiques, médiation culturelle (mémoire sur le cinéma avec mention TB) et d'un Master 2 professionnel de cinéma. 15 fois membre de jurys de festivals de cinéma (dont 10 sur concours d'écriture). 22 ans de pérégrinations festivalières. Blogueuse depuis 14 ans. Je me consacre aujourd'hui à ma passion, viscérale, pour le cinéma et l'écriture par l'écriture de 7 blogs/sites que j'ai créés ( Inthemoodforfilmfestivals.com, Inthemoodforcinema.com, Inthemoodfordeauville.com, Inthemoodforcannes.com, Inthemoodforhotelsdeluxe.com, Inthemoodforluxe.com... ), de romans, de scénarii et de nouvelles. en avril 2016, a été publié mon premier roman au cœur des festivals de cinéma, aux Editions du 38: "L'amor dans l'âme" et en septembre 2016, chez le même éditeur, mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles". Pour en savoir plus sur mon parcours, mes projets, les objectifs de ce site, rendez-vous sur cette page : http://inthemoodforfilmfestivals.com/about/ et pour la couverture presse sur celle-ci : http://inthemoodforfilmfestivals.com/dans-les-medias/ . Je travaille aussi ponctuellement pour d'autres médias (Clap, Journal de l'ENA, As you like magazine etc) et je cherche également toujours à partager ma passion sur d'autres médias. Pour toute demande (presse, contact etc) vous pouvez me contacter à : sandrameziere@gmail.com ou via twitter (@moodforcinema, mon compte principal: 5400 abonnés ). Vous pouvez aussi me suivre sur instagram (@sandra_meziere).

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