Comme chaque année, début janvier rime avec l’annonce des nominations pour les Prix Lumières 2015, l’équivalent français des Golden Globes, décernés à des films français et francophones par la presse étrangère. Depuis 3 ans, la cérémonie met un pays à l’honneur, cette année le Québec. La cérémonie se déroulera le 2 février, comme l’an passé, à l’Espace Pierre Cardin.
« La Famille Bélier » d’Eric Lartigau, le succès en salles de la fin d’année 2014 (déjà plus de 4 millions de téléspectateurs) récolte 4 nominations, de même que « Trois cœurs » de Benoît Jacquot et « Saint Laurent » de Bonello.
Dans la catégorie meilleur film, je suis ravie de trouver « Timbuktu« , le film de l’année 2014, plus que jamais d’actualité, plus vibrant et percutant des plaidoyers contre le fanatisme, un film empreint d’une poésie et d’une sérénité éblouissantes, de pudeur et de dérision salutaires, signifiantes : un acte de résistance et un magnifique hommage à ceux qui subissent l’horreur en silence. Sissako souligne avec intelligence et retenue la folie du fanatisme et de l’obscurantisme religieux contre lesquels son film est un formidable plaidoyer dénué de manichéisme, parsemé de lueurs d’humanité et finalement d’espoir, la beauté et l’amour sortant victorieux dans ce dernier plan bouleversant, cri de douleur, de liberté et donc d’espoir déchirant à l’image de son autre titre, sublime : « Le chagrin des oiseaux ». Le film de l’année. Bouleversant. Eblouissant. Brillant. Nécessaire.
Parmi les nommés dans cette catégorie, je me réjouis également de trouver « Trois cœurs » de Benoit Jacquot, passé inaperçu lors de sa sortie, un de mes coups de cœur de l’année, récemment nommé également au Prix Louis Delluc (décerné à « Sils Maria »). Benoit Poelvoorde (nommé ici comme meilleur acteur), une fois de plus, à un personnage sur le papier banal, apporte sa fragilité, sa folie, sa singularité, son étrangeté, sa séduction nous rappelant qu’il n’excelle jamais autant que dans ces rôles d’hommes en apparence ordinaires à qui il arrive des histoires extraordinaires. Dans ce film, certes, parfois, Benoît Jacquot use et abuse (à dessein) des clichés (le miroir pour exprimer la dualité, le conflit, les deux visages, les signes et coups du destin comme ces plans insistants sur l’heure) mais « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point »…et ne cherche parfois pas à connaître, et le mien s’est emballé pour ce film empreint de noirceur, de romantisme, de désenchantement, de tragédie et pour ces trois acteurs follement séduisants, et désespérément humains pris dans ce drame presque hitchcockien, inextricable et passionnant.
Je suis assez stupéfaite de trouver « La famille Bélier » dans la catégorie meilleur scénario alors que celui-ci comporte pas mal de failles scénaristiques, , lui préférant « La French » de Cédric Jimenez qui a remis à l’honneur le polar à la française. Un « french » film doté des qualités que certains prêtent uniquement au cinéma américain, oubliant un peu vite ou méconnaissant l’histoire du cinéma français, riche de chefs d’œuvre du cinéma policier. Plus qu’un film policier, une page de notre Histoire (passionnantes scènes avec Gaston Defferre, sur son rôle trouble), un récit à la fois intime et spectaculaire palpitant, le film qui réconcilie les années 1970 avec le cinéma contemporain et qui plaira autant aux amateurs de l’un qu’aux amateurs de l’autre, mais aussi aux amoureux du cinéma de Scorsese (vers lequel lorgne évidemment Jimenez autant de par ses mouvements de caméra, la construction du film, son univers que l’usage de la musique, notamment, à noter, une bo remarquable) qu’à ceux de celui de Deray ou Verneuil. Bref, 2H15 que vous ne verrez pas consacrer à « La French » et que vous auriez tort de ne pas passer dans la ville de « Borsalino » avec un face-à-face qui a la force du duo/duel Delon/Belmondo.
Pour la meilleure actrice, mon cœur balance entre toutes les nommées…au premier rang desquelles Juliette Binoche, splendide dans cette polysémique mise en abyme (qui ne récolte malheureusement qu’une nomination), mais aussi Emilie Dequenne, Charlotte Gainsbourg (exceptionnel dans « Trois cœurs » de Benoît Jacquot et « Samba » de Eric Toledano et Olivier Nakache et nommée pour les deux, incarnant dans le second une Alice dotée d’une folie douce, entre force et fragilité, rendant son personnage séduisant, agaçant avec charme, passant du rire aux larmes, et nous faisant nous aussi passer du rire aux larmes), Adèle Haenel, Sandrine Kiberlain, Karin Viard.
Le choix sera tout aussi cornélien pour le prix du meilleur acteur, avec un cas de figure inédit et néanmoins prévisible tant ces derniers excellent dans leurs rôles, puisque deux acteurs sont nommés pour un même rôle dans deux films différents, Gaspard Ulliel dans le film de Bonello sur Saint Laurent et Pierre Niney dans le film de Jalil Lespert, également sur Saint Laurent. Mon choix penche pour le second, autant pour le film que pour la performance, soutenant Pierre Niney depuis que son jeu m’avait totalement subjuguée dans « J’aime regarder les filles » découvert au Festival de Cabourg. Dans le « Yves Saint Laurent » de Jalil Lespert, il a l’intelligence de ne jamais tomber dans l’imitation mais il EST littéralement Yves Saint Laurent, dans sa touchante complexité, ses démons, sa vulnérabilité, sa gaucherie, son talent, sa gentillesse (presque une qualité audacieuse quand le cynisme est tristement à la mode). Un film qui fait subtilement danser et s’entrelacer élégance et irrévérence, douceur et noirceur, gaieté de l’art et mélancolie de l’artiste, au chic rock’n’roll. Un film universel sur un homme singulier. Un film qui a du style, comme celui dont il retrace l’existence et « les modes passent, le style est éternel » disait ainsi Yves Saint-Laurent. Un mélange d’extravagance et de vulnérabilité comme celles qui caractérisaient Saint Laurent, de couleurs joyeuses comme celles du Maroc qu’il affectionnait tant et de mélancolie ou peut-être de « ce sentiment inconnu, dont l’ennui, la douceur m’obsèdent », et qui porte « le beau nom grave de tristesse » pour paraphraser Sagan. Et, surtout, la performance d’un acteur, Pierre Niney, (qui ne donne jamais l’impression d’en être une) à la démesure de la personnalité qu’il incarne. Deux artistes aussi fascinants l’un que l’autre. La découverte de la vie et des talents fascinants de l’un révèle le talent éblouissant de l’autre. Un bel hommage à la mode dont Saint Laurent a fait un art, aussi (il suffit de voir la Collection Mondrian mais aussi toutes celles tant imprégnées des autres arts, de peinture essentiellement), et à cette passion (créatrice, amoureuse) chère à Jack London qui suscite certes la souffrance mais qui fait aussi tellement vibrer, se surpasser, se mettre en danger. Exister. Etre libre. Oui, Saint Laurent était un être magnifiquement libre.
Sans surprise, Roman Duris figure également parmi les nommés pour « Une nouvelle amie » de François Ozon. Le comédien éprouve un plaisir, communicatif, à incarner ce personnage donnant vie à une Virginia, diaboliquement féminine et férocement présente. Anaïs Demoustier est, quant à elle, d’une justesse sidérante et parvient à trouver sa place (ce qui n’était pas gagné d’avance) face à ce personnage haut en couleurs et charismatique, singulièrement touchant. Dans ce nouveau film trouble, troublant, d’un classicisme équivoque, d’un charme ambigu, Ozon fait une nouvelle fois brillamment coïncider le fond et la forme et fait se rencontrer Almodovar, Woody Allen, Xavier Dolan avec un zeste d’Hitchcock, mais ce serait faire offense à Ozon que de l’enfermer dans ces comparaisons, aussi prestigieuses soient-elles, tant chacun de ses films portent la marque de son univers, à l’image de ses personnages : singulier et d’une jubilatoire ambivalence. J’attends déjà le prochain avec impatience… Et puis, bien sûr, le bouleversant Benoît Poelvoorde évoqué plus haut.
Egalement remarquable dans « La prochaine fois je viserai le cœur » et « L’homme qu’on aimait trop », Guillaume Canet figure également aussi parmi les nommés.
Sans hésiter la révélation féminine est pour moi Lou de Laâge dans « Respire » de Mélanie Laurent qui trouvera notamment face à elle Louane Emera très remarquée dans « La famille Bélier ». Lou de Laâge excelle une nouvelle fois dans ce rôle de manipulatrice qui, sous des abords au départ particulièrement affables, va se révéler venimeuse, double, perverse. Un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec Charlie dans cet abyme mental en apparence inextricable.Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin.
Pour le meilleur film francophone, « Mommy » de Xavier Dolan devrait l’emporter même si les Dardenne sont de sérieux concurrents. Une fable sombre inondée de lumière, de musique, de courage, quadrilatère fascinant qui met au centre son antihéros attachant et sa mère dans un film d’une inventivité, maturité, vitalité, singularité, émotion rares et foudroyantes de beauté et sensibilité. Un coup de foudre.
Meilleur film
Bande de filles
La Famille Bélier
Pas son genre
Saint Laurent
Timbuktu
Trois Coeurs
Meilleur réalisateur
Lucas Belvaux, Pas son genre
Bertrand Bonello, Saint Laurent
Benoît Jacquot, Trois Coeurs
Cédric Kahn, Vie Sauvage
Céline Sciamma, Bande de filles
Abderrahmane Sissako, Timbuktu
Meilleur scénario original ou adaptation
Thomas Lilti, Julien Lilti, Baya Kasmi, Pierre Chosson – Hippocrate
Philippe de Chauveron, Guy Laurent – Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu
Audrey Diwan, Cédric Jimenez – La French
Jeanne Herry, Gaelle Mace – Elle l’adore
Thomas Bidegain, Bertrand Bonello – Saint Laurent
Stanislas Carré de Malberg, Victoria Bedos – La famille Bélier
Meilleure actrice
Juliette Binoche, Sils Maria
Emilie Dequenne, Pas son genre
Charlotte Gainsbourg, Trois Coeurs et Samba
Adèle Haenel, Les Combattants et L’Homme qu’on aimait trop
Sandrine Kiberlain, Elle l’adore
Karin Viard, La Famille Bélier et Lulu, Femme nue
Meilleur acteur
Guillaume Canet, La prochaine fois je viserai le coeur et L’homme qu’on aimait trop
Romain Duris, Une nouvelle amie
Mathieu Kassovitz, Vie Sauvage
Pierre Niney, Yves Saint Laurent
Benoit Poelvoorde, Trois Coeurs
Gaspard Ulliel, Saint Laurent
Révélation féminine de l’année
Louane Emera , La Famille Bélier
Joséphine Japy, Respire
Alice Isaaz, La Crème de la crème
Lou de Laage, Respire
Ariane Labed, Fidelio, l’odyssée d’Alice
Karidja Touré, Bande de filles
Ana Girardot, Le Beau Monde et La Prochaine fois je viserai le coeur
Révélation masculine de l’année
Kevin Azais, Les Combattants
Thomas Blumenthal, La Crème de la crème
Bastien Bouillon, Le Beau Monde
Jean-Baptiste Lafarge, La Crème de la crème
Didier Michon, Fièvres
Pierre Rochefort, Un beau dimanche
Marc Zinga, Qu’Allah bénisse la France
Meilleur premier film
Les Combattants, Thomas Cailley
Party Girl, Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis
Elle l’adore, Jeanne Herry
Chante ton Bac d’abord, David André
Qu’Allah bénisse la France, Abd Al Malik
Tristesse Club, Vincent Mariette
Meilleur film francophone (hors France)
C’est eux les chiens, Hicham Lasry, Maroc
Deux jours une nuit, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Belgique
Fievres, Hicham Ayouch, Maroc
L’Oranais, Lyes Salem, Algérie
Mommy, Xavier Dolan, Canada
Run, Philippe Lacôte, Côte d’Ivoire
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